vendredi 11 février 2022

La maison 1

 

ATELIER DU 21/09/2022


Elle ne se souvient plus de la première fois, elle sait que c’est l’été, le temps des vacances, elle sait qu’ils arrivent en train dans la petite gare de cette station balnéaire plutôt ordinaire. De la gare à la maison il doit y avoir un kilomètre, pas très loin mais suffisamment pour des gens à pieds portant des bagages, elle n’a pas les souvenirs du tout début, mais elle a la suite des années, elle peut les imaginer, chacun avec leurs valises et leurs paquets à la main, elle a six ans, se laisse emporter par la sensation de sécurité qu’on les enfants de cette âge quand ils sentent, ils savent, que les parents connaissent tout, les protègent de tout, sauf que ce n’est pas vrai, la vie se charge de le démontrer cruellement. Lorsqu’ils arrivent tous les quatre devant la maison, celle-ci forme un angle aigu entre deux rues et s’avance sur un petit carrefour comme le faîte d’une montagne ou la proue d’un navire, cela lui parait gigantesque, elle s’aperçoit plus tard de cette inscription en haut, sur la face avant, au-dessus de la fenêtre: «Pic du Canigou», elle n’a jamais su pourquoi, une étrangeté dans ce plat pays marin. Encore au-dessus, s’élève une jacobine, brisure rustique dans le ciel bleu de ce matin-là, ou nid-de-pie du haut mâts d’un voilier, on ne sait, on ne saura jamais. Il y a deux étages, le rez de chaussée, un magasin de chaussures, habillé de coquettes boiseries jaunes, encadrant vitrines et porte, plus deux grandes bottes noires dessinées de part et d’autre de cette porte. L’enseigne au dessus, jouxtant les fenêtres du premier étage de la face nord, arbore aussi une botte mais rouge, figure de proue de ses rêves à venir. Le soir, elle ne le sait pas à ce moment là, cette botte s’allume, devient un phare dans la nuit. Un crépi écru recouvre les murs, des pierres calcaires grisâtres, autrefois blanches, propres aux habitations Charentaises entourent les fenêtres aux volets gris foncés mi-clos, ne laissant rien deviner de l’intérieur, protégeant peut-être quelques épais mystères. les propriétaires habitent une partie du premier étage, travaillent dans le magasin et louent deux pièces au premier étage, celles qu’ils habiteront pendant si longtemps au point de s’approprier ce lieu dans l’imaginaire secret de chacun. Sur l’autre face, la maison trace le commencement d’une longue rue, peu large, fleurie plus loin de quelques roses trémières, la plaque de la rue s’affiche sur le mur de la bâtisse. Ce nom tue la chose, car comment un mot de trois syllabes pourrait-il contenir tout l’infini de l’océan. Elle, n’a jamais vu la mer, elle sait à peine lire mais ces mots vont devenir un viatique à la saveur sensuelle qu’elle prononcera souvent plus tard, lorsqu’elle sera loin de cette demeure, les fera rouler dans sa bouche comme les petits galets ronds de la plage à marée basse: «Rue de l’océan, Rue de l’océan », un écho lointain du passé qui tente de la rejoindre. Dorénavant et jusqu’à la fin de l’aventure ce nom restera lié à la maison et fera sa légende. Pour l’instant les parents et les deux enfants font quelques pas dans la rue le long du mur, jusqu’au portillon de bois marron, bordé de buissons, les fleurs clochettes, roses et blanches semblent les observer. Ils ont posé leurs valises, ils attendent les clefs. La petite fille regarde en plissant les yeux, là-bas au loin, au bout de la rue de l’océan une mince ligne argentée dessine l’infini.



Estourelle





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La maison 5

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