vendredi 11 février 2022

La maison 3

ATELIER    DU  9 /  12 / 2021


La porte extérieure passée, la courette traversée, une seconde porte, puis tout de suite un escalier en bois clair, le nez de marche un peu arrondi par l’usure, en haut à droite un tout petit couloir, plutôt un passage entre les deux portes, celle de la cuisine et de la chambre. Il faut donc encore deux clefs plus celle d’en bas et celle de la rue on en est à quatre. Pénétrons dans la cuisine, c’est une pièce modeste humble sans fioriture avec un évier rudimentaire, des casseroles en fer blanc pendent au mur sur des crochets bleus, un réchaud à gaz sur une petite table avec sa bouteille de propane bleue en dessous, à coté un meuble en bois gris où se trouvent quelques ustensiles nécessaires de vaisselle, juste ce qu’il faut pour une location de vacance, quatre assiettes, quatre verres, quatre bols, une boite en fer remplis de fourchettes couteaux et cuillères, quelques tasses à café, à côté de l’évier une fenêtre étroite donne sur le jardinet, on aperçoit des roses trémières rouges carmin qui montent le long du mur, elles éclaboussent un instant la visite des lieux et l’œil le reçoit comme un cadeau, l’œil est sans pourquoi, il prend; la vision s’en va ou reste quelque part dans l’hippocampe cette partie très ancienne du cortex, ce repli interne du lobe temporal du cerveau dont la forme incurvée rappelle la queue d’un hippocampe, eux, animaux marins flottent aussi dans la pièce, il y a une table en bois recouverte d’une toile cirée au motif florale, un mélange baroque sur fond crème de pivoines, pétunias, pensées et coquelicots, au mur un seul tableau, une peinture de montagne avec la légende: pic du Canigou, petit rappel du nom de la maison inscrit sur le fronton extérieur de la maison, des couleurs passées embrument un paysage enneigé, autour de la table, les chaises de paille claires et de bois bruns sont sans attente.


Il faut repasser dans le sas d’entrée pour rejoindre en face la porte de la chambre, elle grince un peu en s’ouvrant, Ce qui frappe en entrant c’est la forme trapézoïdale du lieu, ce guingois donne une impression de tangage, une légère sensation de déséquilibre. Deux grands lits occupent presque tout l’espace, recouverts de grosses couvertures matelassées imprimées de petites fleurs rouges grenat sur fond violet, il y a deux fenêtres donnant sur la rue et sur le carrefour, entre les deux une commode ventrue en merisier sombre plaquée contre le mur de larges tiroirs lourds baillent. Un lavabo de porcelaine blanche au pied d’un des lits à coté d’une fenêtre, les robinets de fer gris à grosse tête crénelée font un petit couinement quand on les tourne; au dessus un miroir écaillé par endroit renvoie l’image de la chambre en trompe l’œil, dessous un pot de chambre émaillé blanc avec un couvercle écaillé aussi; un seul tableau sur le mur, au dessus de la commode, photographie en noir et blanc des deux tours du port de la Rochelle, Saint Nicolas et les quatre sergents, s’ouvre une invisible porte océane qui dans cette chambre étroite étriquée élargit l’espace; quelque chose d’impalpable, respire, s’échappe entre ces deux tours; le parquet en bois sombre ressemble au pont d’un navire usé par le temps, par l’air salin, les pas des locataires qui les ont précédés ou ceux de la famille d’avant, famille de la propriétaire dont on ne sait pas grand-chose en fin de compte que ces murs défraîchis recouverts d’une tapisserie rose pâle presque blanche, d’un passé en train de s’effacer. Eux aussi n’ont été que de passage.


Les W.C sont en bas, il faut reprendre l’escalier et aller au fond du jardin, une sorte de cabane spacieuse, une vraie pièce, l’isoloir de la famille, on y ressent cette solitude désirée, ardemment, les rêveries prolongées dans la tête, récits imaginaires, visions d’espace, de bateaux, de mer, de chevaux, lieu de lecture, d’écriture, à la sauvette, moments où fut déjouée l’attention des parents, lieu à soi, si peu, temps si fugitifs, si éphémères, un dérisoire lieu intime, le plus intime qui soit ici, et quoi! nul honte à écrire que l’intime organique rejoint l’intime de l’âme! 


Estourelle





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La maison 5

  Parfois quand le besoin de solitude est trop  fort, elle va se réfugier dans la jacobine, elle y accède par une échelle en haut de l’esca...